samedi 23 décembre 2017

"De gras et de nerf", de Grégoire Damon


Publié par les éditions "Le pédalo ivre", "De gras et du nerf", de Grégoire Damon, est un très bon recueil.

Si je me contente de dire ça, la critique ne sera guère motivée. Donc, je vais m’efforcer d'expliquer au plus juste ce que j'ai aimé dans ce livre. Beaucoup de choses.

D'abord sa lucidité, le refus de se laisser prendre au piège des vessies pour des lanternes. ça ne change peut-être rien, mais c'est important, pour moi, de toujours le montrer. Pour pas perdre de vue l'essentiel. ça, c'est le nerf  et la puissance de style !

Ensuite, "De gras et de nerf" parle du monde urbain actuel, qui est quand-même celui dans lequel vivent les trois quarts des personnes. 

Ce monde-là n'est pas non plus envisagé derrière le tamis rassurant de la culture et du livre, ou des références littéraires. ça, c'est rare !

Donc, c'est du direct et il n'y a pas d'exception élitiste là-dedans.

Enfin, si ce monde actuel est décrit par le prisme du travail, il n'est pas question que du monde du travail dans les bureaux. Il est question aussi, et par exemple, des petits boulots manuels répétitifs, des pauses travail qui ne changent rien au fait que tout cela soit subi, des trajets de travail.

Au-delà de ça, encore, l'originalité de "De gras et de nerf" réside dans le fait que le monde décrit n'est pas autocentré, comme un monde "classique" de poète, mais au contraire constamment décentré.

Grégoire Damon semble aimer mettre en opposition plusieurs points de vue, ce qui complexifie le poème, le rend aussi plus vivant et plus poétique, en un mot, plus vrai. Car ces points de vue qui s'entrechoquent, n'ont pas forcément grand chose à voir les uns avec les autres et constituent un écho multiplié de la réalité.

J'ai l'impression de lire là un recueil en stéréo, d'avoir une vision du monde spatiale, et d'ailleurs, il suffit d'observer la mise en page des textes : plusieurs styles de caractères employés (majuscules, italiques), centrage du texte, apparition de colonnes à certains endroits.

Les gens parlent dans ces textes !

Enfin, les poèmes qui comprennent plusieurs pages sont réellement construits, tout en semblant voguer au hasard des circonstances.

Alors, en définitive, s'agit-il bien de poèmes ? La question me semble d'autant plus dépassée qu'à mes yeux, il s'agit déjà de poésie.

Extrait de "De gras et de nerf" de Grégoire Damon, "Cancers" (un texte, pour le coup, qui se distingue formellement de ceux décrits auparavant, mais qui montre bien l'ambiance du livre) :

"Qu'ils m'enlèvent la langue, je continuerai à chanter. Que ce soit dit. Tissus ou pas tissus j'aurai toujours des dents pour faire du morse.

Qu'ils m'enlèvent les dents, la mâchoire et la gomme, je n'aurai pas un geste de protestation. Mais je brancherai ma glotte sur votre compteur électrique.

Qu'ils m'enlèvent la peau, je laisserai mes tendons et mes muscles à disposition. Les petits enfants s'amuseront à souiller vos beaux tapis d'Orient avec ma couenne et mes abats.

Qu'ils m'enlèvent le nerf, je voudrais voir ça. Je me ferai accrocher au-dessus de l'entrée du métro et vous tinterai à la gueule chaque rame qui passe.

Qu'ils m'enlèvent les os, je viendrai la nuit hanter vos coins de fenêtres. Vos filles à peine pubères feront des cauchemars atroces. J'en ferai vos ennemies.

Enfin ils finiront bien par inventer une machine. Mais, quand ils m'enlèveront l'âme, je trouverai un moyen pour vous rester dans un coin de l’œil, oh oui.

Et votre vie mal éveillée ne sera plus qu'un lundi matin éternel."

Si  vous souhaitez en savoir plus sur "De gras et de nerf", de Grégoire Damon, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.lepedaloivre.fr/

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